Madrid – Salamanque, 15-20 septembre 2008

VIIeme Colloque International de Paléographie Grecque (2008)

Conclusions de Paul Canart, 20 septembre 2008

Au terme d’un Colloque particulièrement riche et dense, c’est une tâche difficile que d’en tirer les conclusions ; et le faire au pied levé est une gageure. L’auteur de ces lignes demande donc l’indulgence du lecteur. On ne lui fournira qu’une version provisoire, qui sera étoffée dans les Actes du Colloque, dont tous les participants souhaitent une prompte parution.

 

Il convient d’abord de remercier chaleureusement les organisateurs du Colloque, et en particulier le Professeur Antonio Bravo García, Madame Inmaculada Pérez Martín et le Professeur Juan Signes Codoñer. Fidèles aux grandes lignes du programme établi lors de la réunion préparatoire de Madrid, ils ont réalisé le tour de force de loger, dans un laps de temps limité, une quantité impressionnante de rapports et de communications : outre le discours d’introduction de Dieter Harlfinger et l’hommage final à Irigoin de Brigitte Mondain, je n’en ai pas compté moins de 70. C’est dire que les facultés d’attention des auditeurs ont été mises à rude épreuve. Mais, sur la formule de nos Colloques, je retournerai en fin d’exposé. Je vais esquisser maintenant un aperçu rapide des matières traitées au Colloque, pour en souligner à l’occasion la nouveauté et l’intérêt. Ne pouvant et ne voulant citer tous les intervenants, je n’en nommerai aucun expressément : le lecteur intéressé pourra se reporter au programme, reproduit sur le site où figurent ces conclusions.

 

Le colloque de Madrid a abordé, sauf erreur, le champ entier de la paléographie ‒ au sens d’histoire de l’écriture – et de la codicologie, dans son acception la plus large. Commençons par la paléographie.

 

S’agissant de l’histoire de la majuscule et de la minuscule, plusieurs exposés ont mis en doute des positions qu’on croyait acquises, à propos par exemple de la majuscule liturgique et de la Perlschrift. D’autres ont apporté des précisions et des compléments, notamment sur les écritures cursives. Opportunément, l’écriture épigraphique, trop souvent négligée, n’a pas été oubliée. Les nombreuses analyses d’écriture qui ont été proposées ont mis en relief, selon moi, le risque possible d’une argumentation partielle et subjective ; d’où l’intérêt de méthodes d’analyse plus objectives, faisant appel aux ressources de l’ordinateur et de la statistique ; il y a là un domaine à approfondir, tout en sachant – on me pardonnera cette auto-citation – que la paléographie restera toujours une science et un art.

 

La codicologie est d’abord, au sens strict, une archéologie du livre manuscrit. Nous avons beaucoup appris sur les techniques, anciennes et nouvelles, appliquées à l’étude des filigranes et des palimpsestes ; et il s’agissait de recherches déjà en voie de réalisation, à la différence de certains projets annoncés, mais jamais effectués. Sans en citer l’auteur, qu’il me soit permis de souligner la nouveauté et l’intérêt d’une recherche sur le calame. Les exposés sur les reliures ont donné l’occasion de fournir d’intéressantes précisions et suggestions d’ordre méthodologique. Ce sont aussi des réflexions de méthode et de terminologie qui ont été consacrées à la réglure et à la structure du codex : si elles risquent de paraître, à première vue, éloignées de la réalité concrète du livre manuscrit, elles trouvent des applications dans le regroupement des manuscrits et l’histoire des textes. Enfin, si l’ornementation n’a fait l’objet, de manière expresse, que d’un seul rapport, plusieurs exposés l’ont exploitée, quand il s’agissait de regrouper différents manuscrits.

 

Au cours du Colloque, on a souligné plusieurs fois, et avec raison, l’importance du texte dans l’étude du livre manuscrit. C’est ainsi qu’ à plusieurs reprises, les exposés ont mis en relief les rapports entre le format, la mise en page et le contenu des manuscrits, par exemple dans les manuscrits liturgiques et caténiques et les collections canoniques. La manière dont les œuvres sont sélectionnées, groupées et « articulées » a fait l’objet de remarques intéressantes. Dans d’autres cas, codicologie et philologie, sous l’angle de l’histoire des textes, se sont prêté un appui mutuel, comme l’a toujours souhaité et mis en pratique celui à qui le Colloque était dédié, Jean Irigoin. Nous sommes entrés ainsi dans le domaine de la codicologie au sens large, qui devient histoire du livre et débouche sur l’histoire de la culture. Le Colloque a été particulièrement riche de ce point de vue. Tout d’abord, les nombreuses enquêtes consacrées, surtout pour la période de la Renaissance, à des copistes individuels, qui sont parfois aussi des ornemanistes, et des érudits, ainsi qu’à des groupes de copistes, ne se sont pas bornées à des analyses techniques d’écriture et de mise en texte ‒ indispensables et précieuses, bien entendu, ‒ mais ont enrichi le panorama de la culture de l’époque. Il en a été de même, a fortiori, pour les études consacrées à des lecteurs, annotateurs et possesseurs de manuscrits et à des collections, privées ou publiques. Comme de juste, l’Espagne et ses érudits ont été à l’honneur.

 

Enfin, puisqu’il n’y a pas de recherche possible sur les manuscrits sans en connaître l’existence et les caractéristiques, toit ce qui touche au repérage et au catalogage des manuscrits est une des bases de notre discipline. Plusieurs exposés ont eu pour objet la méthode à suivre et les réalisations en cours.

 

Ce bref rappel des matières abordées au Colloque invite à nous interroger sur le futur de notre discipline. La présence et l’intervention de nombreux jeunes aux séances, les recherches qu’ils ont entreprises et mènent à bien incitent à l’optimisme. Espérons toutefois qu’ils trouvent, au sein des institutions académiques, l’appui et les perspectives de carrière qu’ils méritent.

 

Un dernier mot sur la formule même de nos Colloques. Je n’insisterai pas – j’ai constaté que c’était prêcher dans le désert – sur la manière de présenter un exposé oral dans un colloque international, où tous les participants ne sont pas de parfaits polyglottes ; faut-il répéter que débiter à toute vitesse un texte fait pour être lu à tête reposée le rend difficile à suivre et ‒ ce qui est plus grave ‒ à discuter ? Mais c’est la formule même du grand (relativement) colloque qui pose problème. Contrairement au proverbe, dans notre cas, abondance de biens nuit, notamment parce qu’elle entrave la discussion. Certes, des colloques comme les nôtres sont l’occasion de s’instruire sur l’état des questions et d’avoir des contacts personnels utiles. Mais, au siècle de la technique, un outil comme l’internet ne pourrait-il, à moindres frais, réaliser une partie de ces objectifs ? Un peu par manière de plaisanterie, quelques-uns d’entre nous se sont demandé si on ne pourrait pas recourir à la formule suivante : d’une part, des réunions « festives », où on se retrouverait ou apprendrait à se connaître ; d’autre part, de petits colloques qui réuniraient, autour d’une table, les spécialistes (ou futurs spécialistes) d’un problème déterminé. Mais je m’en voudrais de me substituer aux organisateurs du futur Colloque de Hambourg, à qui je souhaite bon courage et bonne chance.